AUTRES TEXTES

POLLÈS par JACQUES LAURENT
Il arrive que de grands artistes soient des ouvriers qui s ‘ignorent, des artisans qui ont oublié leur origine profonde; tel n ‘est pas le cas de Pollès qui n ‘a rien oublié, ni ignoré.
Il sait qu’il agit sur de la matière avec ses mains, ses instruments, souvent grâce à une fonderie où les altitudes de la température s’associent à celles de l’ingéniosité, donc, sans doute, du génie.
PolIès habite ses ateliers, gouverne sa fonderie, lutte, ose se colleter avec un néant épais où il glisse des transparences souterraines ou sous-marines qui suggèrent toutes des paysages charnels.
Mais qu’entend-il exprimer?
Il n’invente pas la femme, il la découvre en lui imposant son regard, la courbant ou l’aiguisant selon le caprice et la violence de son désir.
Il avait besoin de créer et de créer la femme.
Il l’a voulue selon son coeur, selon son corps.
Il l’a tantôt féminisée, tantôt femellisée, ivre de son galbe.
Jadis, traversant le Sahara, je laissai sous les changements de la lumière, les dunes devenir cuisses ou seins, alors que Pollès a construit en dur et vrai, un univers-femme.
Jacques LAURENT
de l’Académie française
POLLÈS by JACQUES LAURENT
It can happen that great artists are workmen who have lost sight of the fact, craftsmen who have become oblivious to their deep-rooted origins; this is not true of Pollès, who has remained aware of everything and forgotten nothing.
He is conscious of the physical action of his hands and tools in shaping his materials, often by virtue of his foundry where temperatures soar to meet winging flights of ingenuity, and hence, undoubtedly, genius.
Pollès lives in his workshops, rules over his foundry, struggles, dares to come to grips with a dense void into which he slips transparencies from some subterranean or deep-sea universe, invariably suggestive of carnal landscapes.
What is he trying to express?
He does not invent Woman, he reveals her through the imposition of his own vision, creating curves or angles according to the whim or the violence of his desire.
He harboured a need to create, and to create Woman.
He envisioned her through his heart and body.
He fashioned her now as feminine, now as female, intoxicated by her curves.
Once, crossing the Sahara, my fancy let the fleeting play of desert light transform the dunes into thighs and breasts, whereas Pollès has created a concrete, true Woman-universe.
Jacques LAURENT
Member of the Académie française

POLLÈS par JEAN LACOUTURE
Ombrine, Iracema, Emaldine, Oogone, Sisymbre, Capsaïcine, Effumée… Qu’est-ce donc que cette taxinomie mélodieuse? Les extraits des carnets de notes de Mallarmé en vue d’un prochain poème? Le mémento des essences d’un chimiste faustien en quête de pierre philosophale? Ou l’appel du soir dans un lupanar d’Orient? Pas du tout : c’est la liste de quelques oeuvres exposées naguère dans un palais méditerranéen par Dominique Pollès, inventeur de formes.
Inventeur dites-vous? Qui ne se répète, ou ne sert de simple relais, ou ne s’en tient à la conception, créateur du premier ou du septième jour? Qui, fût-il l’Éternel, ne bafouille avant l’arche ou ne souffle le dimanche? Pollès ne le fait pas. Du morceau de glaise toscane qu’il pétrit devant vous sous un olivier de Pietrasanta à la polissure exquise qui s’offre à nos désirs, d’un ramassis de ferraille à la coulée de bronze qui fait de son moulin un Etna miniature, il boucle dans sa totalité le processus de création, pionnier de sa Genèse et amoureux de son Evangile.
Il faut l’avoir vu, Vulcain aux boucles d’or équipé comme un cosmonaute, le chef couvert d’un casque de briseur d’émeutes dans l’atelier rugissant d’une machinerie futuriste, de la séance de fonte émouvante comme une aurore de montagne aux interminables épreuves du polissage; il faut l’avoir guetté, Niebelung au muffle d’acier aux prises avec manomètres et pentographes, blocs de fonte et soudeuses à l’argon, pour comprendre la formule provocante dont il fait le manifeste de son projet de machine à agrandir la sculpture qui sera au pentographe ce que l’Airbus 707 est au bi-plan de Blériot : «Je pense que la mécanique est l’âme de la sculpture».
Mais quoi de moins «mécanique» que l’oeuvre de notre Docteur Faust de Toscane? Quoi de plus charnu, vital, pulpeux, quoi de mieux inspiré par la folle herborescence de la vie? Valéry disait lui aussi que les mathématiques sont au coeur de la poésie – et cela donne Charmes.
Mécanicien, Pollès l’est encore plus qu’il ne le dit, et même mécano. Je souhaite à mes meilleurs amis de tomber en panne en plein désert à ses côtés : ils verront ce qu’est le génie du bricolage, et la transmutation du négatif en positif. D’une 2CV en perdition, Pollès peut faire une Ferrari en rut. Et d’une vieille machine à coudre, un micro-ordinateur.
Mais quoi: ce n’est pas son génie de plombier informaticien du XXI siècle, ni même sa téméraire exigence de totalité créatrice que vous êtes venu chercher ici (bien qu’il soit toujours bon de savoir de quoi et comment est faite une fresque de la Chapelle Sixtine), c’est le fruit de ce vertigineux processus créateur.
Alors les voici, magiques dans leur évidence charnue, ces Ombrine et ces Effumée, ces Ardente et ces Amante, ouvertes et mystérieuses, acéphales et chargées de sens comme de signes, les voici, matière si pesante qu’elle nous somme de rêver. On ne peut se garder ici d’évoquer la confluence, le court-circuit entre Maillol et Brancusi, entre la masse de l’un et la pointe de l’autre, entre la profusion méridionale et le tranchant de la modernité.
De si hautes références ne sauraient séduire Pollès, qui dirait volontiers, comme Brancusi de Rodin, qu’à l’ombre des grands chênes, la création s’étiole. Passons donc sur l’amont: en aval, il y a une oeuvre qui déferle en rafales, dômes de chair, croupes données…
Faut-il chercher à les déchiffrer, ces énigmes savamment charnues de Dominique Pollès? Si je peux me permettre un avis, quitte à braver les interdits des conservateurs de musées, je vous conseillerais de les toucher, de les caresser, de vous fondre, en le palpant, avec ce poli, cette patine sensuelle, cette surface infiniment charmeuse.
C’est peut-être là, dans la complicité entre la puissance du désir et la très très longue patience de l’artisan polisseur, que gît le secret de Pollès.
POLLÈS by JEAN LACOUTURE
Ombrine, Iracema, Emaldine, Oogone, Sisymbre, Capsaicine, Effumée… Wherever does this melodious taxonomy belong ? Excerpts from Mallarmé’s notes with a view to some future poem, perhaps? A recapitulation of essential substances for a Faustian chemist in search of the philosophers’ stone? Or the evening roll-call in an oriental brothel? Not at all: this is a list of some of the works exhibited recently in a Mediterranean palace by that inventor of shape and form, Dominique Pollès.
Inventor, you say? Who can avoid repeating himself, or acting as a mere relay-point, or limiting himself to the conception of a work, the creator of the first or the seventh day? Who, be it the Eternal himself, makes no false starts before getting to the ark, or takes no rest on the Sunday? Pollès. From the lump of Tuscan clay that he kneads under a Pietrasanta olive tree as you watch, to the exquisitely seductive final burnish, or from a heap of old iron to the casting of molten bronze that transforms his mill into a miniature Etna, he personally carries through every step of the entire creative process – the pioneer of his own Genesis and true lover of his Gospel.
You have to have seen him – a golden-curled Vulcan fitted out like a cosmonaut, his head in a riot-breaker’s helmet, in the workshop reverberating with the roar of futuristic machinery, from the casting – an event as moving as a mountain dawn – to the interminable stages of the polishing; you have to have watched every move of this steel-muzzled Niebelung grappling with pressure gauges and pantographs, blocks of cast iron and arcwelding machinery, to be able to understand the provocative formula that serves as the manifesto behind his project for a sculpture-enlarging machine that is to be to the pantograph what the Airbus is to Blériot’s bi-plane: ‘In my view, mechanics are the soul of sculpture’.
But what could be less ‘mechanical’ than the work of our Tuscan Doctor Faust? What could ever be more fleshly, vital, succulent, or more inspired by the wild sap of life? Valéry was another who held that mathematics were at the heart of poetry -an idea that resulted in his Charmes
Pollès is of an even greater mechanical bent than he claims-a true mechanic, in fact. I wish my best friends could have their vehicle break down in the middle of the desert with him beside them: then they would see what real do-it-yourself genius means, and see the transmutation of negative into positive at first hand. Pollès can transform a hopeless wreck of a 2CV into a stainping stallion of a Ferrari or make a computer out of an old sewing machine.
And yet what you are here to look for is not his genius as a twentieth-century plumber-cum-computer expert, nor even his boldly exacting demand for creative totality (despite the fact that it is always a good thing to know what a Sistine Chapel fresco is made of and how it was done). What you want to see is the product of this staggering creative process.
So here they are, Ombrine, Effumée, Ardente, Amante and the others, lusciously magical, open and mysterious, acephalous and ponderous with rneaning and signs; here they are, substance so weighty that it bids us to dream. One cannot help but think of the confluence or short-circuit between Maillol and Brancusi, between the mass of the one and the tapering finesse of the other, or between generous southern profusion and the cutting edge of modernity.
Pollès would not be impressed by such high-flying references – he would be more likely to quote Brancusi’s remark about Rodin, that creation tends to grow sickly in the shade of great oaks. It would be better to disregarcl the upper reaches:down below there is a body of work let loose in bursts, domes of flesh, proffered croups…
Should we try to decipher Dominique Pollès knowingly plump enigmas? If I might offer an opinion, I would advise you, even if it means flying in the face of museum curators’ taboos, to touch and caress them, and to feel yourself melt into the burnish, the sensual patina, as your hand moves over the unendingly enchanting surface. Maybe it is right there, in the complicity between the strength of desire and the infinite patience in the craftsman’s long, long work of polishing, that Pollès’ secret lies.

POLLÈS par FRANÇOIS NOURISSIER
de l’Académie Goncourt
La sculpture se prête moins à la frivolité, au bluff, à l’imposture que d’autres expressions plastiques. D’où la plus grande confiance – ou sérénité ?- avec laquelle l’amateur l’aborde. Pollès bénéficie évidemment de ce climat tempéré. Abstrait? Oui, si l’on veut, mais un abstrait du bonheur, un sensuel de l’harmonie. Plusieurs chemins s’ouvrent à un sculpteur de ce dernier demi-siècle. il peut avancer dans le sillon des « hérissés » : Giacometti, Pomodoro, Chadwick, Kemeny, Germaine Richier, César. Ils furent les témoins ou les illustrateurs d’un temps torturé. Il peut aussi raconter une anecdote, comme Alice Penelba ou lpousteguy. Pollés a préféré rejoindre les fervents d’une beauté en apparence apaisée. Ceux-là, s’ils ont éprouvé l’inhumanité de notre époque, l’ont intégrée, avalée, digérée – en est-on sûrs? – et enveloppée dans la perfection de formes idéales. Courbes et contre-courbes apprises à la pierre et au bronze par le corps de la femme. Le feu brûle à l’intérieur : vous pourrez ne voir que des variations sur les thèmes du plaisir, de la tendresse, de l’équilibre. Brancusi, Moore, Pevsner, Arp : voilà la famille que s’est choisie Pollès. Elle convient à son goût de la matière, à sa science d’artisan, à son sens de la patine. Là « tout n’est qu’ordre et beauté / luxe, calme et volupté… » Posés sur les sculptures de Pollès les mots un peu usés de la poésie mais si beaux – reprennent force et sens. il faut passer un moment au milieu d’une exposition de Pollès comme on entre dans une chapelle : ce silence, cette musique du silence, cette addition qui tombe si juste : ne dirait-on pas une prière ?
POLLÈS by FRANÇOIS NOURISSIER
Member of the Académie Goncourt
Sculpture is much less susceptible to frivolity or swindling than other plastic arts. This may account for the increased confidence, even serenity with which the amateur takes it up. PoIIès obviously enjoyes this temperate climate. Abstract? Yes, in a way, but a blissful abstractness, a sensuality of harmony. There were several paths open to a sculptor in the end the twentieth century. They could follow in the footsteps of “prickly” artists such asGiacometti, Pomodoro, Chadwick, Kemeny, Germaine Richier and César, who have all been witnesses to tortuous times. The artist can also choose to tell a story, as Alice Penelha or lpousteguy. Pollès preferred to join the devotees of a form of appeasing beauty. Those who, if they encountered modern day inhumanity, integrated it, gulped it down, digested it (did they?) and enveloped it in the perfection of ideal forms, curves and counter curves, which the female body stimulates in stone and bronze. The fire burns within: nothing can be seen but variations on the themes of pleasure, tenderness, balance. Brancusi, Moore, Pevsner and Arp form the family which Pollès chose to belong to: a family which shared his taste for matter and substance, his knowledge as an artisan, his sense of patina, Beaudelaire’s idea that “tout n’est qu’ordre et beauté / luxe, calme et volupté…” in attaching the slightly worn words of aged but beautiful poetry to Pollès’ sculpture, they recapture full force and meaning. Long moments must be spent in PolIès’ exhibitions, as when one enters a chapel: the silence, the music of silence, the accretion which comes out just right: could we not call this prayer?

POLLÈS par FRANÇOIS CERESA
Dans l’oeil du cyclope
S’il arrive que les artistes soient des ouvriers qui s’ignorent, des artisans qui ont oublié leur origine profonde, ce n’est pas le cas de Pollès. Rejeton de celui qui créa ce cours où l’on mettait les cancres sous haute surveillance, cet Héphaïstos chevelu manie le chalumeau comme un orfèvre de la soudure à l’arc. Mais Pollès ne soude pas. Il fond. C’est le Giacometti du bronze, le Verrocchio du métal, un cyclope au regard d’airain qui, après avoir exposé à New York, Zurich et Barbizon, vient exposer sa sculpture à Paris (galerie Bernheim), histoire de nous montrer la femme telle qu’il la voit. Et, selon Jacques Laurent, il la voit comme un caprice du désir et des formes, comme un ange tout droit sorti d’une fonderie « où les altitudes de la température s’associent â celles de l’ingéniosité, donc, sans doute, du génie ». On vous l’a dit, Pollès est génial. Alors, sous peine de retenue, il faut vraiment s’y coller.
François Cérésa
Le Nouvel Observateur

POLLÈS par JACQUES LAMALLE
(Le Canard enchaîné)
Si la peinture de Cézanne tend à «unir les courbes des femmes à des croupes de collines», la sculpture de Pollès unit les croupes des femmes aux courbes des collines de Toscane, aux flancs desquels il œuvre.
Cet univers féminin où tout est courbe et volume — avec ce qu’il faut d’angles comme pour jeter un peu de sel sur ces douceurs — n’est pas uniquement celui de la volupté, de la chair ronde sublimée par de lumineuses patines moirées. Il est celui de l’esprit jaillissant de la matière.
Forces organiques et forces spirituelles, jamais contraires, toujours équilibrées, s’étreignent dans leur inverse proportionnalité. Si plus monumentale est la cuisse et plus réduite la tête, plus rayonne l’intime pensée où les femmes de Pollès nous entraînent dans leur ronde enivrante. Envoûtés, nous nous croyons à l’égal des dieux: faits d’amour et de création. C’est cela le miracle des sculptures de Pollès.
Uniques, reconnaissables entre toutes, les femmes de Pollès, portent toutes en
elles la beauté comme la grâce, la sensualité comme la puissance, la sexualité comme la fécondité. Inscrites dans l’oeuf originel, elles sont la déesse mère, celle que nous ne renions jamais. C’est elle que Pollès perpétue dans le bronze, comme d’autres avant lui, depuis la nuit archaïque jusqu’à l’aube cubiste. Pour l’éternité.
Femmes de Pollès, vous êtes plus que l’image de la femme, vous êtes accomplissement : la vie.
POLLÈS by JACQUES LAMALLE
(Le Canard enchaîné)
While Cézanne’s painting tends to “create a oneness between feminine curves and the croups of the hills” in Pollès’ sculpture it is feminine croups that are at one with the curves of the Tuscan hills on whose slopes he creates his work.
This female universe of curves and volumes – which contains just enough angular elements to add a touch of piquancy to its gentle softness – is not merely a world of voluptuousness and rounded flesh sublimated by luminous iridescent patinas. It is the universe of the spirit springing forth from matter.
Organic forces and spiritual forces are never in counteraction and always in even balance here, and they are intimately interwoven in their inverse proportionality. The increased monumentality of a thigh and the reduced dimension of a head only give broader scope to the intimate mental world where Pollès’ women whirl us off into their heady dance. Spellbound, we feel ourselves the equals of the gods: made of love and creation. Therein lies the miracle of Pollès’ sculptures.
His women are unique and immediately recognizable, each one of them bearing beauty and grace, sensuality and strength, sexuality and fecundity. Inherent in the primeval egg, they are the mother-goddess – the deity never disowned. It is she whom Pollès perpetuates in bronze, as others have done before him, from the archaic’night to the Cubist dawn. For eternity.
Oh, you women created by Pollès, you are more than the image of womankind, you are her ultimate achievement: life itself.

POLLÈS par JEAN NICOLIER
(Antiquaire)
La sculpture féminine de Pollès ne décore pas l’espace, elle l’habite. Elle est douée d’une présence particulière ressentie d’emblée, tant est convaincante la cohérence d’une construction pourtant complexe, l’équilibre et la solidité et même la sérénité de l’oeuvre. Et l’oeil s’attarde, captivé par ce qu’a d’insolite ce monde en marge du réel, vision si personnelle de l’artiste. Car Pollès n’est pas un imagier du réel, aucun modèle ne pose pour lui. Peintre à ses débuts, il n’utilise cepandant aucun croquis, aucune étude préparatoire. Il se refuse d’ailleurs à tout sujet prédéfini.
Lorsqu’arrive enfin le moment impatiemment attendu où il peut se consacrer à la création, il est entièrement disponible et c’est au jeu de ses mains qu’il laisse le rôle primordial dans l’approche de l’oeuvre, l’esprit n’est là encore qu’en témoin. Les mains malaxent, prétrissent l’argile, les volumes se font et se défont comme au hasard, une courbe inopinée appelle spontanément une contre-courbe, le jeu se poursuit, fébrilment surveillé par l’oeil aux aguets, tout un parcours est créé, peuplé de cent possibilités fugitives. On pense à l’écriture automatique des poètes surréalistes. Une sensation inconsciente plus qu’une logique se mobilise, prête à s’engager, à s’emparer d’une apparence suggestive, lorsqu’un volume semblera un corps naissant, une courbe deviendra un geste possible. Dès lors, le personnage révélé est consciemment adopté et la genèse se poursuit d’emblée dans une remarquable unité.
Presque toujours la femme ainsi créée est soeur des oeuvres précédentes : croupe et reins puissants, cuisses solidement plantées, attitudes éminemment provocantes mais au-delà de tout érotisme, rejoignant les sources très profondes de l’humanité, comme le firent toutes les Déesses-Mères des civilisations primitives, avec aussi l’exagération des formes significatives, dans un style quelque peu archaïsant.
Avec cette partie essentielle du corps tout est dit. Son rôle majeur, absolu, exclusif, fait songer à un gros plan qui privilégie les détails capitaux, exagérément amplifiés, d’un sujet. La massivité des volumes accuse l’importance attachée à ces détails.
Par conséquent, le reste du personnage (qui demeure présent) devra non pas disparaître totalement, comme une statue antique mutilée – mais, hors du sujet, hors du champ, s’amenuiser, se restreindre, s’effacer.
Dans un bronze déjà un peu ancien, une femme assise «Caroline», l’opposition avec le gros plan se marque – outre le moindre volume – par un effet de perspective curieusement utilisé. Après le chemin éloquent entre les énormes cuisses écartées, vers la féminité, le buste renversé en oblique s’allège jusqu’aux bras graciles et la tête menue qui, au loin, se laisse oublier.
Pour «Obsidienne» bien plus récente, après la croupe puissante, au-delà du torse déjà réduit, épaules et bras s’étrécissent jusqu’à disparaître sur place en lignes abstraites évanescentes, la tête demeurant, mais minuscule.
Cette curieuse présence-absence de la partie hors du sujet, pleine d’embûches, utilisant des formes très diverses orientées vers de plus en plus de rigueur, est, me semble-t-il, une extraordinaire réussite de Pollès où réalisme archaïsant et abstraction savante se conjuguent aisément en une sorte de logique spontanée.
Ses recherches incessantes de stylisation plus précise, plus aigué se trouvent stimulées par une connaissance étonnante de la technique du bronze, son matériau favori. Pollès réalisateur unique de ses sculptures est, je pense, un cas exceptionnel. Très exigeant pour la qualité de la fonte et mal satisfait des épreuves confiées au début à d’autres mains, il décide d’en apprendre la technique, devient en quelques années un parfait ouvrier et construit sa propre fonderie où il réalise désormais, et seul, toutes ses oeuvres.
Cette même exigence de qualité le fait aussi consacrer bien des heures au long, très long travail de la lime et surtout du ciseau pour parfaire le bronze enfin réalisé pour obtenir la surface nette et lisse, la ligne pure, affinée, tendue comme il aime à- dire.
Dans sa quête incessante de perfection, Dominique Pollés a tenu à posséder une dernière technique, celle de la patine dont il a appris patiemment les secrets et qu’il utilise désormais de façon très personnelle adaptant les diverses teintes et les effets subtils aux oeuvres judicieusement choisies. D’année en année, une évolution due tant à ses recherches stylistiques qu’à son expérience technique se manifeste mais dans une certaine unité. Un Poilés se reconnaît aisément. Chaque aspect de ses sculptures semble toujours s’inscrire dans des figures très strictes, d’après quelque nombre d’or personnel et cette sorte d’équilibre interne constant donne à sa sculpture si moderne et novatrice comme une résonnance classique.
POLLÈS by JEAN NICOLIER
(Antique’s dealer)
Pollès’female sculpture does not decorate space,it inhabits it.Such a strong presence is imparted by the convincing coherence of what is nonetheless a complex construction,as well as by the balance,solidity and even serenity of the work, that it has an immediately striking impact. The eye lingers on it, fascinated by the strangeness of this world on the fringe of reality created by the artist’s very personal vision. For Pollès does not copy from real life, and no model poses for him. Although originally a painter, he never used sketches or preliminary studies and refuses to work on the basis of any preconceived subject.
When he eventually reaches the impatiently-awaited moment at which he can devote himself to his creation, he concentrates on it entirely. In approaching the work he lets his hands take over the essential function, while his mind as yet only observes the process. His hands knead and mould the clay, from which shapes emerge and disappear apparently almost at random, an unexpected curve spontaneously answered by a counter-curve; as the process continues under the feverish scrutiny of his watchful eye, the work evolves through a whole series of stages where a hundred different possibilities take momentary shape and vanish again. It reminds one of Surrealist automatic writing. The driving force lies less in any logic than in unconscious feelings which are ready to respond to the visual suggestion presented by a volume that hints at the potential form of a body, or a curve that might develop into a movement. At that point, the subject becomes adopted on a conscious level and its genesis proceeds with a remarkable unity that is achived with no further hesitation.
The woman so created is almost invariably closed akin to previous work, with the same powerful buttocks and hips, heavy-set thighs and attitudes that are indeed provocative, but in a way that transcends eroticism and links up with the deepest roots of human existence. Here these sculptures share common ground with all the mother-godesses of primtive civilization, with their similarly exaggerated significant parts and somewhat archaistic style.
This essential part of the body makes a complete statement. Its major, absolute and exclusive role is reminiscent of a close-up that focuses on the overly-enlarged paramount details of the subject.The sheer massiveness of the volumes denotes the importance of these details. As a corollary, the rest of the figure, although still present and not completely eliminated as it might be in a multilated antique statue, nonetheless reemains irrelevant and out of focus; it is pared down, curtailed and virtually effaced.
Besides this reduced volume, in a relatively early bronze of a seated woman entitled “Caroline”, the contrast with the areas in close-up is further emphasized by a curious use of perspective effect. Beyond the eloquent path to womanhood between the enormous open thighs, the bust bends backwards on an oblique, becoming lighter and tapering off into slender arms and atiny head that is almost unnoticeable from a distance.
In “Obsidienne”, a much more recent work, above the powerful croup and the reduced torso, the shoulders and arms shrink to a point where they vanish into evanescent abstract lines, while the head, though tiny, is still there.
This strange half-presence and half-abscence of the irrelevant elements, which makes cunning use of a wide variety of increasingly rigorous forms, seems to me one of Pollès’ extraordinary successes, where archaistic realism and scholarly abstraction fit happily together in a kind of spontaneous logic.
His constant search for greater styltic precision and penetration is given impetus by his amazing mastery in handling bronze, which is his favorite material. Pollès produces his sculptures entirely on his own from start to finish, which is, I think, quite exeptional. He is extremely demanding as far as the quality of the casting is concerned, and after adissafactory experience of work entrusted to other people at the start of his career, decided to learn the technique himself. Within a few years he became the perfect technician and built his own foundry, where he has produced all his works himself – alone – ever since.
The same demand for quality also makes him spend number of hours on the long, very long work of filing and, especially, chiselling required to obtain the clean, smooth surface, the pure, sharp, “tight” line, as he likes to put it, and bring the finished bronze to perfection.
In his unending search for perfection, Pollès has made a point of acquiring one final technique. This was the patinating process, whose secrets he learned patiently, and which he now uses in a very personal way, judiciously adapting the various tints and subtle effects to individual works. Although his work has evolved over the years with his stylistic research and increasing technical experience, it has nonetheless maintained a certain unity. A Pollès is easily recognizable. Every aspect of his sculptures invariably seems to fit into very strict figures determined by some personal Golden Section, and the resulting constant internal equilibrium gives an almost classical resonance to these modern and innovative sculptures.

POLLÈS par CÉCILE GOLDSCHEIDER
(Conservateur en chef honoraire des Musées Nationaux)
.
Pollès est né à Paris en 1945. Ses études secondaires achevées, il est d’abord attiré par l’architecture mais s’oriente vers la médecine.
Il commence à peindre en suivant les cours de l’académie Charpentier, entre à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts après avoir abandonné les études médicales.
A Londres, dans l’atelier d’Enzo Plazzotta il découvre la sculpture, la diversité des matériaux et des techniques le séduit et désormais il pratiquera avec autant de joie l’art de la couleur et celui de la forme.
Eprouvant le besoin d’une plus grande liberté il s’éloigne du milieu familial et, solitaire s’installe en 1970 à Pietrasanta où il retrouve Enzo Plazzotta.
C’est alors qu’il aborde les problèmes techniques propres du sculpteur, il s’attache à réaliser dans toutes ses phases opérationnelles l’œuvre concue par lui et pour cela il crée sa propre fonderie.
Ainsi maître de son matériau de prédilection, le bronze il le soumet à ses exigences de perfection : il apporte au polissage des surfaces le soin méticuleux dont il fait preuve dans le polissage du marbre. Ses recherches évoquent l’obsession de ses aînés, Brancusi, Chauvin, Arp pour lesquels la forme ne pouvait trouver son accomplissement que dans l’absolu de la pureté.
La jeunesse de Dominique Pollès autorise à voir dans la présente exposition une ouverture vers l’harmonieux développement d’une personnalité authentique de sculpteur – ses œuvres révèlent une exhaltation soutenue de la féminité de ses modèles prostrés ou animés par l’ivresse de la danse.
Ne permettent-elles pas d’évoquer la définition de Paul Valéry ?
« La sculpture est la forme devenue émotion ».
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Texte de 1980

FILLES DE MÉMOIRE : SCULPTURES DE POLLÈS
par YGAËL ATTALI
La confrontation à l’œuvre sculpturale de Pollès est un voyage dans une contrée où la mémoire familiale de la Guerre s’est vue non défigurée par les sables de l’oubli, mais transfigurée dans une ode à un ailleurs, ni au-delà ni en-deçà de nos cieux, mais autre. Un alter-monde onirique où la faille énigmatique de l’existence est auréolée d’une insaisissable beauté d’airain.
Ce texte poétique mêlant souvenirs intimes de l’artiste et arcanes de la création sculpturale est un essai sur les méandres d’une mémoire mise au service de l’art.

POLLÈS par ANNE LAMALLE
(Arts Magazine)
En mai 2005, à la foire d’art contemporain de Shanghai, Un promoteur chinois, fasciné par les sculptures monumentales de Pollès, lui a commandé une oeuvre pour la placer au coeur de la ville qu’il est en train de bâtir. Bel hommage pour ce sculpteur qui a créé, en Italie, son propre atelier de fonderie près de Carrare. Plusieurs fois par an, lorsqu’il fond ses sculptures, il y organise des fêtes épicuriennes, pour que l’art ne soit jamais dissocié du plaisir, de la vraie gôurmandise. Depuis l’abandon de ses études de médecine, il ne cesse de sculpter pour traduire la beauté et la puissance du corps féminin, corps mis à nu, saisi en mouvement, entre équilibre et déséquilibre. Quelques traces du cubisme de Picasso traversent ses oeuvres où s’exprime une alliance subtile, charnelle entre les courbes voluptueuses, les replis inattendus et la présence massive de la matière. La dureté de la pierre ou du métal se fait en douceur par le jeu des volumes, des marbrures et des transparences ces corps suspendus, sensuels, majestueux, s’ils séduisent le regard, semblent aussi vouloir être touchés, caressés…
POLLÈS by ANNE LAMALLE
(Arts Magazine)
May 2005 at Shanghai’s Contemporary Art Fair, a Chinese developer, fascinated by Pollès’s monumental sculptures, commissioned a work from him to be placed in the heart of the city he is currently building. This was a handsome tribute to the French sculptor who created his own casting workshop near Carrara in Italy. Several times a year, when he casts his sculptures, the artist holds epicurean feasts, so that art may never be dissociated from pleasure and true gourmandise. Ever since he abandoned the study of medicine, he has sculpted ceaselessly to convey the power and beauty of the female body, stripped bare and captured in motion, hovering in a state between equilibrium and precariousness. Traces of Picasso’s cubism traverse his works, which express a subtle, carnal alliance between the voluptuous curves, the unexpected folds, and the massive presence of the material. The hardness of the metal and stone is softened through the interplay of volumes, marbling, and transparencies. These suspended bodies, sensual and majestic, seduce the gaze while seemingly beckoning us to touch and caress them.

L’INTERVIEW DE POLLÈS par MYRIAM MARINO
L’interview du sculpteur recueillie à Pietrasanta (Toscane – Italie), où il vit, le mercredi 13 août 2008
La rencontre avec Michel Onfray…
Une très bonne amie, qui travaille à Connaissances des arts, m’a offert un jour un livre avec une très jolie dédicace. C’était “La sculpture de soi” de Michel Onfray. J’ai donc lu par curiosité et j’ai à peine commencé à lire… mais c’était du café ! C’était extraordinaire. Passionné, j’ai lu tous ses livres que je pouvais trouver. Et puis, quand on a lu quelque chose de passionnant, on en parle à ses amis, à tout son entourage, et c’est ainsi que j’en ai parlé à une personne qui tenait ma galerie de New York, Paola. Un jour, Michel Onfray est venu dédicacer ses livres dans le quartier du 4e arrondissement de Paris, et sans me le dire, Paola y est allée et a montré à Michel Onfray un de mes livres… On m’a rapporté qu’il s’est mis à feuilleter, il était assez grave, puis tout d’un coup il est tombé sur la double page où figure, à Bagatelle, une sculpture nommée “La cyrénaïque”…
NDLR : Tout est parti de là… Michel Onfray pensait alors (interview recueillie le 22 juin 2008 pour le film sur Pollès) que Pollès avait entendu son cours sur Aristippe de Cyrène, philosophe “oublié” habitant une région qui correspond à l’actuelle Lybie, et que cela l’avait motivé à appeler une de ses statues “Cyrénaïque”. Or, ce n’était pas cela du tout… Il s’agissait, pour citer Michel Onfray reprenant l’expression d’André Breton, d’un “hasard objectif”. Confirmation de Pollès…
…C’était tout à fait fortuit, parce que moi je choisis les noms de mes statues plutôt phonétiquement, et ce nom “cyrénaïque” m’avait plu. J’avais bien entendu lu ce que cela voulait dire, voilà : école dont la morale est basée sur le plaisir. Ce qui allait tout à fait pour ma sculpture. Puis de fil en aiguille, nous sommes rentrés en contact. Michel Onfray devait faire une conférence à Naples, donc rendez-vous à Naples, nous nous sommes rencontrés, et sommes devenus amis. Michel Onfray est venu en Amérique dans le cadre d’une petite préface qu’il avait écrit pour une exposition où je présentais un cheval. Vers le projet exceptionnel d’exposition permanente de six sculptures monumentales… Ensuite Michel Onfray m’a parlé d’une exposition à Argentan. Je suis allé l’écouter à un cours de l’Université Populaire de Caen en hiver et il m’a parlé de ce projet : j’ai tout de suite dit que j’étais absolument d’accord. Je suis donc venu à Argentan, Michel Onfray m’a fait voir le terrain qui allait accueillir les sculptures. Ce projet est très important et intéressant à plusieurs titres. J’ai l’impression, pour la première fois, de faire quelque chose où je peux exposer des sculptures pour en faire profiter les gens, sans qu’il y ait forcément un but commercial. On est tellement constamment pris dans un entonnoir d’aspiration vers le commerce, avec les galeries, etc. Là, il n’y a pas de question boutique derrière, et c’est bien agréable. Enfin, comme j’ai fait, il y a dix ans, une exposition sur le site du parc de Bagatelle, j’ai l’impression que dix ans plus tard, je fais à nouveau un événement très important à Argentan. Sur le terrain des Jardins dans la Ville, structure d’insertion, ce que cela représente pour Pollès… Je ne peux pas dire que cela représente quelque chose symboliquement, pas encore, c’est abstrait. Le principe me plaît, le peu que j’ai lu sur le site me plaît beaucoup, mais cela va se vivre, l’histoire va se faire autour de cela. Pour moi c’est une exposition importante comme je le disais ; si Michel pense que l’exposition doit se faire ici, il doit savoir ce qu’il fait, c’est donc que c’est intéressant. Je négocie beaucoup avec ce que l’écrivain de la vie fait, donc il me semble que je dois faire ça et je le fais. Je ne peux pas dire que c’est quelque chose de réfléchi, raisonné et calculé. Pas du tout. Je vois une profonde amitié entre Michel et moi qui va se concrétiser avec ça, et cela me suffit.
Le livre de Michel Onfray sur Pollès : “La vitesse des simulacres” sortira en même temps quele vernissage de l’exposition, le 15 novembre 2008. Impressions et ressentis…
Je crois que c’est la chose la plus monumentale qui me soit arrivé de toute ma vie, c’est extraordinaire, c’est le plus beau cadeau que la vie pouvait m’apporter. C’est très troublant aussi parce que cela fait un peu comme si on allait voir un psychiatre, moi je n’irai jamais en voir un, mais sans le vouloir finalement, on se sent une peau neuve. Ce livre en même temps est très énergétique parce qu’il me renforce dans moi-même, ce qui fait que j’ai encore plus envie de me remettre à créer, je crée toujours bien sûr, mais je suis encore plus persuadé d’être moi-même, que finalement je dois jouer le personnage pour lequel il a écrit, et ça fait du bien. Le fait qu’il dise par exemple que je suis “préhistorique” et autre : finalement, cela me rend service parce qu’il a élagué tout ce qui n’était peut-être pas nécessaire autour de moi comme mes recherches scientifiques ou autres, car l’essentiel c’est que je crée ce que j’ai toujours voulu créer depuis mon arrivée ici en Italie, depuis 42 ans. Il me remet sur mes propres rails en me ré-exaltant le goût d’être moi-même et de créer. Et qu’est-ce qu’il a fallu qu’il m’observe pour écrire tout cela ! Nous n’avons pas énormément discuté, mais je pense que lui m’a beaucoup écouté, moi j’ai dû trop parler comme d’habitude, enivré du bonheur que j’avais d’être chez lui, des bons vins, de la bonne chère… J’ai vu qu’il en a profité pour guetter les arcanes de ma personnalité. C’est extraordinaire. Et puis son livre est construit d’une façon merveilleuse, c’est comme un portrait au crayon que l’on découvre au fur et à mesure, au fil des pages ; d’abord on voit mon nez, ensuite ceci et cela, pas géographiquement mais c’est presque ça. C’est passionnant.
“Pollès est un homme préhistorique” (extrait de “La vitesse des simulacres”)
Il y a deux périodes que j’ai toujours aimées dans ma vie : la nôtre, car au point de vue de la technologie et de tas d’autres choses, c’est illimité, je crois qu’on peut tout faire ; et puis il y a le pléistocène (se dit du début de l’ère quaternaire, période correspondant au paléolithique, ndlr), où il y avait tout à faire. J’ai vraiment une nostalgie pour le pléistocène : les choses étaient carrées, on disait ce qu’on voulait, si on n’était pas d’accord on envoyait un coup de poing qui assommait l’autre… Enfin, c’était clair ! Il n’y avait pas toute cette hypocrisie-là… Oui, j’aime beaucoup la préhistoire, l’homme préhistorique. Souvent je l’associe à Robinson Crusoé qui ne dispose que de quelques outils ; on arrive à vivre avec et quelquefois on a la chance d’être invité, d’aller retrouver la société, la civilisation, mais on reste quand même attaché à sa vie à l’écart. Je pense à “Vendredi ou les Limbes du Pacifique” de Michel Tournier, à la différence que moi je ne voudrais pas repartir même si le bateau arrivait… C’est pour cette raison que je prends le mot préhistorique dans le sens : je reste à l’écart, je reste avec mon unité de temps…
Le temps chez Pollès, quand il lui faut trois à quatre ans pour faire une œuvre…
Je trouve que tout est très étriqué. On enseigne l’histoire aux enfants, mais cela reste de la banlieue. J’ai toujours détesté les banlieues : les banlieues du temps, les banlieues géographiques… Il faudrait aller bien plus loin que cela quand même, parce que la terre est très vieille, on vient d’arriver et on oublie cette notion que tout est immense. Alors, comment on gère le temps quand il faut plusieurs années pour faire une sculpture ? La question ne se pose pas ainsi pour moi : mon rêve, c’est d’être célèbre dans 300, 400, 500 ans ! Regardez Van Gogh, il a fait du 100 000 % et il vit toujours puisqu’on parle encore de Van Gogh. Et il fait vivre des gens, des galeristes, etc. Il existe, c’est bien. De son temps, ça ne coûtait pas un rond, il n’était pas “emmerdé” ! La plus grande réussite, c’est ça. Et puis on vit dans des multivers avec des échelles de temps énormes ; alors la question est d’essayer de faire éclater un peu tout cela. Le temps, c’est très bon, car dès qu’on éclate le temps toute querelle devient stupide. Donc finalement, on va vers la paix en élargissant l’unité de temps. Ce qui gêne, c’est parce que c’est tout de suite, c’est cette impatience, mais si on apprend aux gens à prendre du temps, les choses s’arrangent… Je n’ai peut-être pas de leçon à donner, mais c’est comme ça que je le ressens.
Ce sont les trajectoires qui sont belles. Le quotidien, il faut essayer de faire avec…